Ma biographie

Je suis né le 27 Octobre 1949 à Marseille dans le 9ème arrondissement ; j’y suis resté jusqu’à mes 20 ans avant de « monter » à Paris pour terminer mes études et obtenir mon diplôme d’ingénieur. Je me suis marié avec Anne et nous avons eu 3 enfants superbes. Une vie heureuse, une histoire simple sans gros tumultes, un peu banale ; loin de la vie tourmentée de mes grands parents et parents.

Mes grands-parents font partie du faible nombre d’Arméniens qui ont pu échapper miraculeusement aux massacres organisés par le gouvernement turc en 1915 assassinant sauvagement 1.200.000 hommes, femmes, enfants juste parce qu’ils étaient arméniens et chrétiens. Ils ont fini par arriver dans le port de Marseille, n’avaient pas d’argent, ne savaient pas parler français, identifiés « apatrides » par l’administration. Pas facile ! Mais heureux quand même d’être acceptés en France et prêts à recommencer une nouvelle vie. Ils ont travaillé durement, sont morts jeunes ; mais pendant cette courte vie ils ont su bâtir une famille, donner un futur à leurs enfants, créer un héritage moral.

Mes grands-parents paternels sont restés à Marseille ; ils habitaient « la campagne Ripert », du nom du propriétaire d’un grand terrain vierge, à l’époque en bordure de la ville et maintenant dans le 9ème arrondissement. La campagne est rapidement devenue un village habité exclusivement par des Arméniens ; il fallait bien se serrer les coudes et s’entraider pour survivre ! Mon grand-père partira un temps à Dunkerque pour déminer les plages ; c’était bien payé, il n’y avait pas beaucoup de candidats. Puis il s‘installa « boucher-charcutier » tout en travaillant pendant plusieurs années la nuit dans les usines de l’est de Marseille. Cinq enfants sont nés, dont mon père, ainé de la fratrie, une famille pour qui l’assimilation aux règles et coutumes locales était une évidence … même si la cuisine du Moyen-orient est toujours restée d’usage à la maison. A table il y avait très souvent un laissé-pour-compte du quartier, invité par mon grand-père ; ma grand-mère n’appréciait pas du tout cette pratique, mais, dans ces moments, elle savait qu’elle devait se taire. Je n’ai pas beaucoup connu mon grand-père, mais j’ai toujours entendu qu’on parlait de lui avec beaucoup de respect en évoquant sa générosité exemplaire et son empathie.

Mes grands-parents maternels habitaient Martigues, à une quarantaine de kilomètres de Marseille, plus particulièrement le quartier de « l’île », ce charmant territoire entouré de canaux où les pêcheurs amarraient leur barque. Ils vendaient de la mercerie sur les marchés. Après sa journée de travail, le grand plaisir de mon grand-père était de sortir une chaise, s’installer devant sa maison et discuter avec ses voisins et amis grecs tout en manipulant un chapelet. Mes grands parents avaient appris le grec pendant leur séjour dans un premier camp d’accueil en Grèce après leur fuite. Quand, enfant, j’étais chez eux, je ne ratais que rarement le marché ; ma tâche était d’aider à déballer la marchandise le matin et remballer minutieusement tous les casiers à la fin de la matinée dans le fourgon Citroën archi-plein. Et puis il y avait mon arrière-grand-mère, celle qu’on appelait « Mayrig », une petite femme d’une très grande douceur, que j’ai toujours vue habillée de noir. C’est elle qui cuisinait pour la famille ; c’était tellement bon que les repas étaient toujours un moment de fête ; au « pays » elle était cuisinière.

Mon père a été d’abord « tailleur » ; il faisait des costumes sur mesure dans son modeste atelier, un appentis adossé à la maison : une table, un grand miroir pour se voir plain-pied, des ciseaux, des rouleaux de tissu rangés dans une étagère ; enfant j’allais souvent dans cet atelier pour dessiner sur les tombées de tissu avec les craies rectangulaires blanches. L’argent, par moment, était rare surtout pendant la maladie de mon grand-père qui était soigné sans être couvert par les assurances. Un soir, alors que la famille ne savait pas comment boucler la fin du mois, deux individus ont frappé à la porte, des inconnus ; ils ont commandé six costumes à mon père sans être trop exigeants ni sur la couleur ni sur la qualité des tissus. Ils ont payé l’ensemble des costumes sans discuter le prix (une grosse somme pour la famille, de quoi vivre plusieurs mois !). Ils ne sont jamais revenus, même pour un premier essayage. Magie de la vie.

Le jour où les hommes ont préféré le prêt-à-porter, mon père est devenu employé, puis chef d’atelier, dans une société qui fabriquait des vêtements de travail. Plus tard il a suivi son frère pour créer une boucherie ; même si sa situation matérielle s’était alors améliorée, il a toujours gardé la nostalgie de son petit atelier.

Ma mère est une femme merveilleuse. Plus jeune elle était d’une grande beauté ; quand elle est arrivée à la « campagne Ripert », après son mariage, les jeunes hommes du quartier se disaient fiers d’avoir une si belle femme habiter dans leur quartier ; ils avaient grandi en compagnie de femmes en noir, marquées par un passé douloureux. Je n’ai jamais entendu ma mère élever la voix, même dans les moments difficiles.

Les étés nous avions pris l’habitude de nous rendre dans un petit village de Haute Provence ; ma mère y avait passé une bonne partie de la dernière guerre avec ses parents, trouvant là-bas un confort que les villes n’offraient plus pendant cette période. A l’occasion de festivités, 14 Juillet et autres, elle et quelques copines chantaient pour animer les soirées. Quarante années plus tard nous avons fait construire une maison dans ce village ; c’est devenu le refuge de la famille, notre comté.

Ma peinture est en grande partie le reflet de la vie de mes grands-parents et parents ; je crois que ce que j’ai fait de mieux, c’est de suivre le chemin qu’ils ont tracé. Je suis heureux de signer mes tableaux avec le nom de mon grand-père et de mon père.

Je ne sais pas toujours où je vais … quoiqu’un peu quand même, mais je sais en tout cas d’où je viens.